L’agence de la transition écologique accompagne depuis de nombreuses années la structuration de la filière des systèmes électriques intelligents, en apportant des aides financières notamment à des projets de smart grids, principalement via le Programme d’investissements d’avenir (PIA) opéré par l’ADEME. Ces projets explorent de nouveaux modèles d’affaires et intègrent dès leur commencement des études sur les comportements des utilisateurs finaux. Pour Réseau Durable, Geoffrey Abécassis, Responsable adjoint Pôle Suivi du Financement et Valorisation des projets PIA et Patricia Sidat,  Project Manager, reviennent sur le développement de la filière des smart grids en France. Et rappellent qu’ils constituent la clé de voûte de la transition énergétique.

L’ADEME soutient le développement des réseaux intelligents. Quelle est leur utilité et que changent-ils pour le système électrique ?

Patricia Sidat — Les smart grids sont la clé de voûte de la transition énergétique en facilitant l’intégration des énergies renouvelables sur le réseau électrique. Le système électrique devrait accueillir de nouveaux objets de manière massive dans un futur proche, tant du côté de la production que de la consommation. Il s’agit par exemple de centrales d’énergies renouvelables variables ou des véhicules électriques. Cela va engendrer un changement important des courbes de charge auquel le système électrique devra faire face en s’adaptant, grâce aux smart grids en particulier. 

Quels sont les progrès mesurables autour du développement des smart grids en France ?

Patricia Sidat — Des équipements se sont développés sur le réseau sur tout le territoire. C’est le cas du compteur communicant Linky dans les foyers, qui constitue une brique smart grids importante. Sur le réseau, des capteurs ont aussi été déployés et permettent aujourd’hui par exemple de calculer en temps réel la capacité de transit des lignes électriques à partir de données météo (Dynamic Line Rating). Ces dispositifs sont utilisés par RTE sur certaines lignes. Les postes sources évoluent aussi en devenant plus numérisés.

Il ne faut pas non plus oublier tout ce qui est fait par les PME. Nous en parlons dans notre rapport « Systèmes électriques intelligents : le soutien de l’ADEME à l’innovation depuis 2010 ». Grâce au projet SEE PROJECT, Soft 4 Energy (S4E) commercialise une solution de prévision « territorialisée » pour les centrales photovoltaïques par exemple. Grâce au projet SMART SUN, Webdyn commercialise une nouvelle passerelle de communication (WebdynSUN PM) qui intègre des fonctions d’asservissement de la production EnR pour ajuster la production des centrales photovoltaïques selon les besoins locaux d’équilibre du réseau.

Geoffrey Abécassis — Des premières briques commencent à être industrialisées, avec des projets de déploiement en tant que tels, et plus seulement de simples démonstrateurs. Le plan Nouvelle France Industrielle a été construit autour de différentes actions qui consistaient à déployer plus massivement les smart grids sur le territoire et à structurer la filière. Nous arrivons aujourd’hui à la fin de ce programme et pouvons en dresser les enseignements. Parmi les différents champs d’investigation, des régions ont été sélectionnées pour prédéployer des solutions smart grids. C’est ce qui a donné naissance au programme Smile en Bretagne et en Pays de la Loire, au projet Flexgrid en PACA et au projet You & Grid en région Hauts-de-France. Dans chacune des régions, on recense de nombreuses réussites. Certains projets sont d’ailleurs issus de nos propres démonstrateurs. C’est le cas d’un projet de postes source intelligents, piloté par RTE au sein d’un consortium rassemblant des grands groupes et une PME dans la région Hauts-de-France et qui est en cours de déploiement industriel en Pays de la Loire et en Bretagne.

Par ailleurs, le plan NFI prévoyait aussi la constitution d’une filière à l’internationale. Un projet mené en grande partie par l’association Think Smart Grid. Aujourd’hui des projets se développent à l’international et fédèrent un certain nombre d’entreprises qui sont membres de cette association. La fameuse « équipe de France des smart grids » a pris forme à travers cette action avec des projets qui se déploient par exemple en Indonésie. Nous avons la chance en France d’avoir un très bon réseau électrique qui permet de faire des tests. Il y a aujourd’hui une réelle communauté d’entreprises qui s’exportent à l’international.

Dans votre rapport « Systèmes électriques intelligents », vous revenez sur les nombreux projets menés depuis 2010. Quels enseignements en tirez-vous ?

Patricia Sidat — Par rapport au précédent rapport publié en 2016, des résultats nouveaux ont été établis, notamment en matière de production d’énergies renouvelables. Les services système en fréquence (réglage primaire inclus) pourront a priori être fournis par des moyens non conventionnels.  Le projet européen Eranet a démontré que, grâce à l’agrégation, une centrale virtuelle composée uniquement de centrales EnR (PV et éolien) peut fournir des services de ce type. C’est une nouveauté. Il ressort par ailleurs qu’une combinaison intelligente de stockage et de pilotage de la demande industrielle peut également techniquement fournir un service système en fréquence avec un haut niveau d’exigence. Le concept de centrales virtuelles répond aux besoins des exploitants de production EnR pour piloter à distance des sites de production éloignés géographiquement les uns des autres.

En ce qui concerne la consommation, il y a aussi du nouveau sur les plans de la maîtrise de la demande en énergie et de la maîtrise de la puissance. À ce titre, le compteur Linky est une brique importante. Le projet Smart Electric Lyon est un exemple concret de ce qu’il est possible de faire en termes d’opérations de pilotage de la demande via Linky. D’autres projets portés par des PME ont montré qu’il était aussi possible de faire du pilotage de la demande dans des secteurs moins électro-intensifs.

Quelles sont les perspectives en matière de stockage ?

Patricia Sidat — Le stockage est un objet pilotable qui peut être mis au service du système électrique. Il constitue une brique des smart grids, qui facilite l’intégration des énergies renouvelables variables mais aussi des nouveaux usages. Les coûts et les caractéristiques actuelles de la réglementation rendent le contexte plutôt défavorable au développement du stockage distribué sur le territoire métropolitain. Il s’agit d’une analyse à mettre au regard des territoires en zones non interconnectées, où le stockage a plus de valeur. En territoire métropolitain et en zone européenne, on voit qu’il y a des appels à projets pour mettre en place des structures de stockage pour soutenir le réseau. Le stockage sera une brique essentielle de système électrique de demain. On ne sait pas encore à quelle échelle, cela dépendra de l’évolution des coûts. C’est en tout cas un objet technologique dont il faut continuer à soutenir le développement. Et pour cela, il est nécessaire de travailler sur plusieurs verrous juridiques liés au stockage. Il est notamment nécessaire de donner une définition juridique à l’activité de stockage, sans la confondre avec celle de production ou de consommation. Il serait aussi nécessaire de travailler sur les règles de mécanisme de marché pour faciliter la participation du stockage. Ce sont des sujets en cours dont l’aboutissement est fort attendu par les acteurs de la filière.

Geoffrey Abécassis — Le stockage est un sujet à part entière à l’ADEME qui alimente la réflexion autour de la flexibilité du réseau. Aujourd’hui, le Programme investissements d’avenir continue à financer l’innovation dans les technologies de stockage, quelles qu’elles soient, tant qu’elles donnent lieu à des cas d’usage qui ont du sens économiquement et écologiquement. Nous voulons des technologies qui soient plus en phase avec la neutralité carbone à atteindre en 2050, qui créent de la valeur sur le territoire national et qui puissent impulser l’émergence de fleurons français à l’international. C’est pourquoi nous continuons d’investiguer et d’investir dans différentes technologies de stockage comme l’hydrogène, les technologies électrochimiques comme le lithium-ion, le sodium et demain peut-être le zinc…

Avec son plan de soutien automobile, le gouvernement donne un coup d’accélérateur au développement du véhicule électrique. Le réseau électrique est-il prêt à accueillir ces nouvelles mobilités ?

Patricia Sidat — Les gestionnaires de réseau de transport et de distribution se sont emparés du sujet de l’électromobilité. En témoignent deux publications de 2019 :

Par ailleurs, le projet « aVEnir » coordonné par Enedis est également dédié à ce sujet. L’année 2019 a été une année de montée en puissance sur le sujet du côté des gestionnaires de réseau qui sont clairement en phase d’accélération. Les défis du côté de la filière électromobilité portent surtout sur la nécessité de rendre accessibles techniquement et économiquement les infrastructures de recharge et de rendre la recharge simple au quotidien, notamment sur les lieux de travail et dans les copropriétés.

Geoffrey AbecassisNous avons souvent tendance à considérer tout nouvel objet arrivant sur le réseau comme une contrainte. Nous insistons au contraire à l’ADEME pour faire la preuve de la valeur des renouvelables pour le réseau. C’est justement l’esprit du projet REstable, qui permettra demain de créer une centrale de production virtuelle pour agréger les productions d’énergies renouvelables et rendre des services au réseau. Il en va de même pour les véhicules électriques. Ils seront peut-être demain des batteries sur roues qui pourront soulager les contraintes liées à la variabilité des renouvelables sur le réseau. Le projet « aVEnir » que nous soutenons permet de partir des besoins du territoire pour comprendre comment il est possible d’optimiser au mieux les renouvelables. Cette démarche illustre la notion de « multivecteur énergétique » qui prend de plus en plus d’ampleur.

Les smart grids peuvent-ils contribuer à la relance économique post-covid ?

Geoffrey Abécassis : Oui, les réseaux intelligents seront une brique essentielle de la relance future. Les smart grids sont la pierre angulaire de la transition énergétique et une brique essentielle des systèmes énergétiques intelligents. Si nous voulons demain une économie qui tende vers la neutralité carbone, cela passera notamment par les smart grids. Il s’agit d’un facilitateur de transition. Il faut capitaliser sur notre savoir-faire en la matière et sur les acteurs qui sont très bien positionnés en France et vers l’international. Cela implique de continuer à investir pour avoir les innovations les plus prometteuses sur le territoire national. Le développement seul de la technologie est insuffisant, il faut accompagner les utilisateurs dans l’appropriation de ces outils pour que leur impact soit le plus fort possible en vue de la transition.

Patricia Sidat — D’une part, les solutions smart grids prennent des formes diverses et se retrouvent disséminées dans une multitude d’objets et d’endroits du réseau électrique. D’autre part, la relance de l’économie et de l’emploi recouvrira certainement des chantiers majeurs tels que celui de la rénovation des bâtiments, du développement des réseaux de chaleur ou des énergies renouvelables. À chaque fois, dans ces plans de relance unitaires, il faudra intégrer des  « démarches » smart grids pour rendre le système électrique in fine plus flexible pour que celui-ci puisse accueillir plus d’énergie renouvelable variable. De ce point de vue-là, la filière smart grids joue un rôle central dans la relance en apportant des solutions à chacun de ces objets et en créant des synergies nouvelles et à coût maitrisé pour l’ensemble de la collectivité.