En cette période de début d’année traditionnellement dévolue aux bonnes résolutions, pourquoi ne pas se pencher sur la notion de nudge ? Loin de représenter une solution miracle à la crise écologique, celui-ci peut néanmoins aider chacun à réduire l’écart entre ses convictions environnementales et la réalité de ses comportements. Un édito d’Aymeric Bourdin.
Concept exposé pour la première fois par Richard Thaler et Cass Sunstein, le nudge, ou « coup de pouce » en français, est une théorie issue de l’économie comportementale selon laquelle certains facteurs sociaux, situationnels ou personnels peuvent inciter les personnes à adopter un comportement spécifique.
Un nudge est un aspect de l’architecture des choix qui modifie de manière prévisible le comportement des individus, sans pour autant interdire aucune des options et sans changer significativement leurs incitations économiques. L’exemple le plus connu de nudge est sans doute la mouche gravée sur un urinoir pour permettre aux hommes de mieux viser et réduire ainsi les dépenses de nettoyage. Grâce à cet ingénieux procédé, elles ont baissé de 80% à l’aéroport Schiphol d’Amsterdam.
Contrairement à certaines campagnes écologiques agressives en vogue depuis les années 1980 visant une prise de conscience, le nudge vise le déclenchement de l’action, aussi infime soit-elle, de façon extrêmement ciblée. Il s’appuie régulièrement sur la présentation d’une norme sociale et une approche ludique du choix.
Une technique issue de la psychologie comportementale
Avec des résultats probants et un coût faible, le nudge s’applique à toutes sortes de secteurs marchands et a vite intéressé les professionnels du marketing. Consommation, santé, civisme… « Substituer à la sanction des incitations psychologiques basées sur l’économie comportementale devient le nouveau Graal », expliquait un article de Libération dès 2014.
Très vite, le nudge retient également l’attention des décideurs publics. Dès 2010, David Cameron, puis en 2013 Barack Obama, dotent leurs administrations respectives d’une « Nudge Unit ». Des structures qui proposent aux gouvernements d’utiliser les enseignements de l’économie comportementale pour améliorer l’action publique.
La plus développée de ces « Nudge Unit » est la « Behavioural Insight Team » (BIT) anglaise, mise en place en 2010 par le gouvernement anglais et désormais indépendante. Elle travaille avec les gouvernements de plus de trente pays et a mené des expériences sur la collecte de l’impôt, le don d’organe, et plus récemment la sécurité routière.
Appliquée à l’environnement, cette « émulation écologique » se veut donc incitation, par effet d’entraînement, à adopter un comportement plus respectueux. Le procédé peut dès lors être mis au service de la transition énergétique, en complément de mesures publiques plus lourdes telles que la régulation, les incitations fiscales etc.
Le nudge au service de la transition énergétique
Plusieurs exemples sont d’ores et déjà en cours d’expérimentation ou de développement, tels que l’affichage énergétique, l’impression recto-verso par défaut ou encore le contrôle de la consommation énergétique.
En France, le ministère en charge de la Transition Ecologique, après une phase d’expérimentation, a décidé de généraliser en 2015 le déploiement des compteurs Linky. La mise à disposition des données de consommation aux ménages leur permet de visualiser en quasi-temps réel leur consommation et ainsi, de mieux la contrôler. L’Ademe souligne aussi dans un avis sur les compteurs communicants, qu’ils peuvent contribuer à lisser les pointes de consommation, suivant le principe du nudge. De fait, « les fournisseurs pourront, en effet, piloter certains usages à l’aide d’incitations tarifaires proposées aux clients favorisant le décalage et/ou l’effacement des appels de consommations à certaines heures« , détaille l’Ademe.
Dans l’avenir, la recharge intelligente, ou smart charging pourrait devenir une autre application potentielle de nudge au service de la transition énergétique. Moduler le déclenchement de la recharge d’un véhicule électrique permettrait de recharger la batterie de son véhicule électrique au moment le plus opportun grâce à la connectivité de la voiture, le conducteur étant ainsi incité à charger son véhicule électrique quand la production éolienne ou solaire est à son maximum. Cela permettrait d’éviter la sur-sollicitation du réseau électrique tout en favorisant l’utilisation des énergies renouvelables. La recharge devient flexible et fait du véhicule un vecteur d’équilibre entre offre et demande sur le réseau d’électricité.
Avec la recharge bidirectionnelle, la voiture peut devenir un maillon du réseau électrique. Elle stocke le surplus produit par les énergies renouvelables et le délivre quand les consommateurs en ont besoin. C’est le principe du vehicle-to-grid (V2G), une des clés pour le déploiement du véhicule électrique à grande échelle.
Bien que certaines critiques soient émises sur les nudges, quant à certains effets rebonds, à leur efficacité, à leur éthique ou à leur caractère éphémère, les nombreuses expériences menées par les chercheurs s’accordent sur des résultats concluants pour multiplier les comportements vertueux… en complément des mesures réglementaires.