Les smart city ont-elles une longueur d’avance en matière de gestion de crise comme celle du Coronavirus ? C’est ce qu’estime François Emmanuel, Président de la Smart Buildings Alliance, qui souligne aussi l’intérêt des infrastructures intelligentes pour aller vers des villes plus durables. Entretien. 

Les smart city sont-elles mieux armées pour faire face aux crises sanitaires ?

D’une manière générale, oui. La ville de Dijon est une des premières villes en France à avoir compris l’intérêt d’avoir une infrastructure numérique homogène à l’échelle de la ville. C’est le cas de peu de villes en France, en Europe ou dans le monde. La gestion de la crise du Covid-19 montre qu’en ayant une infrastructure numérique avec des capteurs bien positionnés dans la ville, et pilotés au sein d’un centre de supervision, il est beaucoup plus facile de gérer une crise en temps réel et notamment de suivre un confinement. Cette infrastructure numérique permet de suivre en temps réel des critères comme la qualité de l’air, la pollution sonore, le trafic routier… et de croiser les informations pour les exploiter de manière sécurisée. La ville de Dijon vient d’ailleurs de gagner un nouvel appel à projet autour de l’efficacité énergétique, le H2020 smart city project, pour aller vers des territoires à énergie positive et qui soient résilients. Après avoir posé sa première brique numérique, la ville est maintenant en position d’aller plus loin sur le volet de la maîtrise de l’énergie, qui est un des enjeux majeurs auxquels les villes doivent faire face. 

Capteurs, caméras… la smart city est-elle simplement une ville “technologique” ?

Une smart city ne doit surtout pas être une ville essentiellement technologique. La technologie est au service d’un projet qui consiste à rendre les villes plus désirables, durables et à l’écoute de ses habitants. La technologie et le numérique ne sont que des moyens pour gagner en efficacité et pour apporter plus de sécurité, de solidarité et de durabilité. De nombreuses villes emboîtent le pas à Dijon en matière de smart city, comme récemment Angers qui a lancé un vaste projet ou encore Montpellier et Nice. J’ai visité le poste de supervision de la ville de Nice et j’ai été impressionné par la capacité de superviser en temps réel tous les flux et ainsi d’être beaucoup plus réactif en période de crise, et pas uniquement sanitaire. Il peut s’agir d’inondations, d’attentats… 

Pour cela il est nécessaire de s’appuyer sur une infrastructure numérique pour piloter tous les réseaux. Mais cela doit s’accompagner d’une vision au service du citoyen. La smart city doit mettre le citoyen au cœur, et créer la confiance est essentielle, car sans adhésion des citoyens, ça ne marche pas. La ville de Lyon par exemple, avec son premier quartier Lyon Confluence, s’est justement vu reprocher d’être trop technologique et pas assez à l’écoute des citoyens. Le projet Eureka a gommé ces travers en partant du besoin citoyen avec des solutions adaptées. En bref, la smart city est une alliance entre philosophie et technologie. 

Comment transformer les villes pour en faire des espaces de vie plus durables ?

La crise du Covid-19 a révélé les failles de nos systèmes hyper-centralisés et donc la nécessité d’aller vers des solutions beaucoup plus hybrides. Nous nous sommes rendus compte que nous pouvions vivre de façon “déportée”, qu’il s’agisse du travail, de l’enseignement, du commerce par exemple et même de la culture. Cela laissera des traces profondes dans l’organisation futures de nos villes et de nos sociétés. PSA a par exemple annoncé que le télétravail ne serait plus un cas exceptionnel mais plutôt une règle générale pour ses salariés de bureau. C’est un vrai changement de culture avec des effets bénéfiques pour économiser du temps de trajet et donc réduire les émissions de CO2.

L’hybridation des solutions est une tendance de fond et tout cela est possible grâce au numérique. D’où la nécessité de repenser l’organisation de nos villes, en allant vers des activités et des services qui seront à la fois locaux et déportés. Demain, les villes seront un “assemblage de villages du 21e siècle” et offriront des services et activités de proximité. Certains parlent en ce sens de “ville du quart d’heure”. On voit bien qu’il y a une aspiration à avoir une production plus locale, avec des circuits courts.

La fin annoncée des véhicules thermiques au profit d’une mobilité électrique permettra de respirer un air plus pur, avec moins de C02. L’accélération de la mobilité électrique et de la réduction du véhicule électrique dans les centres-villes est au coeur des élections municipales. La réduction du véhicule thermique dans les centres villes va être l’enjeu des prochaines étapes. A la SBA, nous travaillons sur un référentiel intitulé R2S for mobility avec tous les acteurs de la mobilité et du bâtiment car ce dernier devient une variable de mobilité. Pour encourager le déploiement de cette mobilité électrique, je crois beaucoup à l’incitation, économique ou pas. En Finlande, la ville de Lahdi, qui vise la neutralité carbone à horizon 2025, a mis en place un jeu pour inciter les citoyens à réduire leur déplacement. En France, les incitations pour développer l’usage du vélo vont dans le bon sens. 

Comment la smart city peut-elle permettre d’optimiser les consommations énergétiques ?

Les villes, c’est 77% des émissions de gaz à effet de serre et plus de 50% des émissions de CO2 dans le monde. C’est aussi plus de 70% des déchets avec une augmentation de 10% sur la dernière décennie. Nous devons aller vers des villes plus durables, et c’est ce que permet la smart city. D’abord en permettant de consommer moins et mieux d’énergie, uniquement quand on en a besoin. Si je prends l’exemple des bâtiments, des systèmes permettent aujourd’hui d’adapter leur consommation énergétique et notamment le chauffage, la ventilation ou leur refroidissement en fonction de l’occupation. Le smart permet, grâce à des plateformes de service, l’optimisation de l’usage de la mobilité et des espaces. 

Le smart permet aussi un meilleur équilibrage des réseaux. C’est ce qu’on appelle le smart grid : pouvoir utiliser au mieux l’énergie et lisser les pics de consommation. C’est un enjeu important des prochaines années. Il y aura toujours des productions centralisées avec des centrales nucléaires mais nous allons de plus en plus vers de la production d’électricité locale et du stockage local. Une tendance amplifiée par la mobilité électrique, parce que les batteries des véhicules électriques deviennent un vecteur de flexibilité pour les bâtiments, notamment durant les pics de consommation d’énergie. Cela n’est possible que si nous avons un réseau intelligent.

La donnée est au coeur de la smart city : comment en faire un atout au service des villes de demain tout en garantissant leur sécurité ?

La traçabilité des données doit être bottum up et non pas top down. Et pour cela, les citoyens doivent garder la souveraineté de leurs données. L’accès aux données par les opérateurs de service doit être contextualisée et suivie. Il est possible aujourd’hui, grâce à des capacités de mémoire augmentées, de garder les données au plus près des usagers. Pour permettre la confiance, les données des villes doivent rester à un certain niveau et être gérées par un tiers de confiance, en impliquant le citoyen qui doit avoir un droit de regard sur ses données. Cela pose de fait une question de gouvernance. Sur ce point, la page est presque blanche.