Les derniers textes du Clean Energy Package (« Paquet Energie Propre ») ont été adoptés début 2019 par le Parlement Européen. Parmi les mesures proposées, le renforcement des communautés énergétiques citoyennes pose question : si la décentralisation de la production d’électricité est une nécessité pour intégrer plus de renouvelables dans le mix énergétique, conserver une vraie solidarité entre les différents consommateurs, sur le territoire national, demeure indispensable.

Le Clean Energy Package (CEP) est un paquet législatif proposé par la Commission Européenne, le 30 novembre 2016, pour fixer le cadre réglementaire dans lequel se déploiera la transition énergétique dans l’Union Européenne. L’Union s’est notamment fixé l’objectif de compter, à l’horizon 2030, 32% de renouvelables dans son mix énergétique.

Clean Energy Package (CEP) : validé par le Parlement Européen

Pendant deux ans, ce CEP a été précisé et complété. Depuis fin 2018, les différents textes de ce « paquet » ont été adoptés par le Parlement Européen ; les derniers l’ont été en janvier et mars 2019. Parmi ces dernières mesures, citons :

  • Le maintien des tarifs réglementés d’électricité au moins jusqu’en 2025 ;
  • La généralisation des compteurs intelligents pour les consommateurs ;
  • La suppression progressive des mécanismes de soutien aux centrales à combustibles fossiles ;
  • L’accroissement des flux transnationaux d’électricité ;
  • La mise en place d’un système d’enchères des certificats de Garantie d’Origine (GO) d’électricité au bénéfice de l’État ;
  • Une réforme du mécanisme de capacité (pour garantir un approvisionnement en électricité même avec une part élevée de renouvelables intermittents dans le mix électrique);
  • Une augmentation des prérogatives de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER).

Le nouveau cadre juridique des communautés énergétiques citoyennes (CES)

Le Clean Energy Package pose également un cadre juridique favorable aux « communautés énergétiques citoyennes » (CES). Une communauté énergétique est un regroupement de particuliers ou de petits professionnels autour d’une source d’énergie renouvelable. Cette dernière est financée collectivement, et l’électricité ainsi produite est partagée entre les différents membres. Les CES, qu’elles soient à l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier, se développent de plus en plus en Europe. L’Union compte aujourd’hui près de 3 000 communautés en tout.

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La Commission Européenne a de hautes ambitions pour ces CES : elle estime qu’à l’horizon 2030, elles pourraient représenter 50 GW de puissance photovoltaïque et 50 GW de puissance éolienne sur l’ensemble de l’Union – soit 21% et 17% de la puissance totale installée pour ces deux énergies. « Nous parlons maintenant de communauté énergétique citoyenne, et le nom va bien au-delà de la sémantique. Elle désigne une entité autonome, locale et gérée par des personnes physiques et morales », a déclaré Florent Marcellesi, un eurodéputé espagnol du parti des Verts.

Pour soutenir leur implantation, le CEP prévoit que ces communautés aient la possibilité de posséder, louer ou acheter leur propre réseau de distribution d’électricité, ou, à défaut, que les frais de réseau ne s’appliquent pas, dès lors que l’électricité est produite et consommée localement. Mais cette dernière disposition pourrait fragiliser le principe de solidarité que défend la France en termes d’accès à l’énergie sur le territoire national.

Le modèle français de solidarité nationale  

La France dispose en effet d’un système énergétique s’appuyant sur des opérateurs de réseaux électriques de taille nationale : RTE pour le transport, Enedis pour la distribution d’électricité. Ce système génère de nombreuses économies d’échelle. Il permet un lissage des coûts du transport et de la distribution, ainsi qu’une mutualisation des capacités d’intervention en cas de défaillance. Avantage de cette mutualisation, les gestionnaires disposent par ailleurs de capacité d’investissement bien supérieurs à celle d’un ensemble de petits acteurs régionaux ou locaux.

Parallèlement, ces opérateurs permettent aussi la mise en place de principes de solidarité : en France, le coût de l’électricité est le même, que l’usager habite à côté d’une unité de production ou dans une maison isolée en pleine montagne. Les coûts pour acheminer l’électricité au second sont bien plus élevés que pour le premier : mais RTE comme Enedis mutualisent ces coûts au niveau national (c’est le système de péréquation), pour permettre d’offrir, au final, le même tarif aux deux usagers.

La taille des opérateurs réseau fait ainsi partie des facteurs qui limitent le coût de l’électricité, en France, à 0,17 €/kWh. A titre de comparaison, au Danemark, qui dispose d’une cinquantaine de gestionnaires de réseau de distribution, pour une population dix fois plus faible que la France, ce coût est de 0,31 €/kWh. Un record au sein de l’Union Européenne.

Économies pour la CES, hausse du tarif pour les autres ?

Or, le développement des CES implique une vigilance accrue pour maintenir ce principe de solidarité nationale. Certes, la décentralisation des moyens de production d’électricité est une nécessité pour développer davantage les renouvelables, et l’autoconsommation collective doit être encouragée.

Mais il ne faut pas que cette politique pénalise, au final, les autres consommateurs : « un foyer capable d’investir dans un dispositif d’autoconsommation fait l’économie de ses coûts réseaux (dont il continue de se servir), qui sont répercutés à l’ensemble des clients à travers les tarifs d’électricité » soulignent ainsi Michel Derdevet (Secrétaire général d’Enedis) et Nicolas Mazzucchi (Chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique) dans une tribune parue dans Le Monde.

Les micro-grids : pas adaptés à des territoires déjà parfaitement interconnectés

La multiplication des micro-grids sur le territoire national engendrerait des coûts élevés pour les opérateurs de réseau électrique. Un “mini-réseau” nécessite des investissements importants, ainsi que des coûts d’entretien et de maintenance plus lourds que les équipements gérés par les opérateurs nationaux. Ils induisent, au final, une augmentation mécanique de la facture pour les autres consommateurs.

S’ils sont parfaitement adaptés aux zones isolées qui ne peuvent être connectées au réseau national (notamment dans les pays où l’électrification n’est pas achevée, ou dans les ZNI d’Outre-Mer), le rapport coût-bénéfice des micro-grids est beaucoup plus problématique dans des pays où de grands réseaux interconnectés sont installés.

Autonomiser la production et la consommation, pas le transport ou la distribution

Autonomiser et décentraliser la production (et la consommation) d’électricité semble nécessaire au développement des renouvelables à grande échelle. En revanche, rien n’oblige à autonomiser dans le même temps la distribution ou le transport d’électricité.

Les CES peuvent parfaitement se développer sans micro-grid, en restant connectées au réseau national : avec la généralisation des compteurs intelligents, il est parfaitement possible de mettre en place des dispositifs d’autoconsommation collective sans se séparer du réseau national – c’est déjà le cas dans plusieurs expérimentations en France.

La France doit défendre sa position dans les futures négociations

Le CEP laisse d’ailleurs le choix aux Etats d’autoriser ou non ces communautés à devenir gestionnaire de distribution d’électricité – une disposition qu’ont su imposer les pays disposant, comme la France, d’un opérateur de distribution d’électricité de dimension nationale.

Face aux questions et préoccupations des députés sur cette question, l’Assemblée Nationale a d’ailleurs assuré que les représentants de la France au niveau européen travailleraient à conserver cette prérogative cruciale aux Etats. Autre piste sur laquelle la France pourrait avancer au niveau européen : ne pas systématiser la gratuité des coûts de réseau pour les CES, afin de garantir la solidarité.

Validé par la Commission Européenne, voté par le Parlement Européen, le CEP doit encore être examiné par le Conseil Européen (qui regroupe des représentants de tous les gouvernements de l’Union) avant d’entrer en vigueur. Durant cet examen, l’exécutif français va donc devoir défendre une vision des CES qui ne brise pas le principe de solidarité énergétique cher aux Français.

En savoir plus sur le sujet – Virginie Schwarz  : « Les communautés énergétiques citoyennes vont donner un rôle plus important au citoyen »