Longtemps distancé par les champions asiatiques, le Vieux Continent semble enfin prendre conscience de l’importance stratégique de disposer de capacités de stockage électrique. Bruxelles vient ainsi d’autoriser le versement exceptionnel d’aides publiques afin de créer un futur « Airbus des batteries ». Les projets se multiplient aux quatre coins de l’Europe, comme en France ou en Suède.
« L’enjeu économique de notre génération est là : transformer une production carbonée en production décarbonée et concilier croissance économique et transition écologique » : c’est avec ces mots que le 24 janvier, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé l’inauguration d’une usine de batteries pour voitures électriques d’ici à 2022 à Nersac, en Charente. Le 30 janvier dernier, le président de la République posait la première pierre de ce projet baptisé “Airbus des batteries”. Quelques 200 emplois devraient être créés localement. Il s’agit d’un projet pilote franco-allemand, qui fait suite au feu vert accordé au début du mois de décembre 2019 par la Commission européenne. Pour atteindre cet objectif ambitieux, sept des Etats membres de l’Union Européenne (UE) bénéficieront d’une aide aussi exceptionnelle que conséquente, d’un total de 3,2 milliards d’euros.
« La production de batteries en Europe revêt un intérêt stratégique pour notre économie et notre société compte tenu de son potentiel en termes de mobilité propre et d’énergie, de création d’emplois, de durabilité et de compétitivité », estime ainsi la vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager, selon qui « l’aide autorisée permettra de garantir que ce projet important ira de l’avant sans fausser indûment la concurrence ». Dans le détail, l’exécutif européen autorise la France à investir 960 millions d’euros, l’Allemagne 1,25 milliard, l’Italie 570 millions, la Pologne 240 millions, la Belgique 80 millions, la Suède 50 millions et la Finlande 30 millions d’euros. De quoi « faire de l’Europe la première puissance industrielle verte de demain », s’est encore félicité Bruno Le Maire sur Twitter.
Vers une « Alliance européenne de la batterie »
Maîtriser la filière des batteries électriques devient en effet essentiel pour garantir la survie de l’industrie automobile européenne. Urgence climatique oblige, les constructeurs sont sommés tant par l’opinion publique que par les gouvernements d’accélérer leur conversion à l’électrique. Les ventes de voitures à batterie devraient ainsi passer, au niveau mondial, de 5% en 2017 à 25% en 2025, et même 50% en 2030. Les besoins en cellules de batteries pourraient, de ce fait et sur le seul Vieux Continent, atteindre quelques 400 GWh à l’horizon 2025 contre moins de 200 GWh aujourd’hui. Problème : près de 90% de la production industrielle de cellules de batteries pour voitures électriques est assurée par des entreprises asiatiques, principalement chinoises, coréennes ou japonaises.
« Il est évident qu’être entre les mains de deux ou trois fournisseurs asiatiques entraîne une grande vulnérabilité », explique dans les pages du Monde un haut responsable de PSA. « Cette situation est particulièrement risquée, abondent les auteurs d’une étude réalisée sous l’égide de l’Institut français des relations internationales (IFRI) ; en cas de défaut d’approvisionnement en cellules de haute performance, l’industrie automobile européenne pourrait perdre la bataille du véhicule électrique ». « Il est indispensable pour notre indépendance technologique (et) stratégique que nous réalisions nos propres batteries sur le sol européen », confirme de son côté Bruno Le Maire. D’où l’impératif de développer une « Alliance européenne de la batterie », à laquelle ont d’ores et déjà adhéré plus de 250 entreprises, pouvant mobiliser jusqu’à 100 milliards d’euros d’investissements.
Mobiliser les énergies et coordonner les différentes initiatives
Cette alliance s’articule autour de deux projets distincts : d’une part, l’initiative franco-allemande mentionnée plus haut, dotée de 5 milliards d’euros, dont 1,2 milliard de financement public ; de l’autre, un consortium regroupé autour de l’entreprise suédoise Northvolt, qui a levé l’été dernier un milliard d’euros auprès des constructeurs Volkswagen et BMW, mais aussi d’Ikea et de la banque Goldman Sachs. Fondé par des anciens de Telsa, le projet Northvolt ambitionne de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production des batteries, en construisant d’ici à fin 2021 dans le grand nord suédois une gigantesque usine capable de produire 32 GWh. Profitant des nombreuses centrales hydrauliques du pays, le coût de production des futures batteries est « si attractif qu’il emporte sur les salaires élevés que nous devons payer » en Suède, assure dans Les Echos Peter Carlsson, le fondateur de Northvolt.
Quel modèle de batterie pour demain ?
Reste cependant l’épineuse question, indissociable de celle des énergies renouvelables, du stockage de l’électricité – et, de préférence, au plus bas prix possible. Les besoins en la matière sont colossaux, les capacités de stockage d’électricité déployées dans le monde devant, entre 2019 et 2024, être multipliées par treize. Les « fermes » de batteries lithium-ion, pour immenses qu’elles soient, montrent en effet leurs limites, ce type de batteries se révélant extrêmement cher, peu durable et difficile à recycler. La solution pourrait résider dans le silicium fondu, un matériau chauffé à très haute température par l’électricité, avant de convertir cette même chaleur en « nouvelle » électricité. Une technologie qui, si elle reste encore en gestation, témoigne de l’intense réflexion que suscite la question des batteries, décidément au cœur de notre avenir énergétique.